J’en garde toujours un merveilleux souvenir, je n’avais alors que six ans, à peine n’atteignais-je la hauteur des genoux de mon père. Je me souviens de la texture rude, presque blessante, de la brique, de ces innombrables cubes d’argile rouge, que je m’attelais à découvrir du bout des doigts. Mon paternel, riche et célèbre, promit de me léguer ce mur et tout le bâtiment y étant rattaché à l’aube de mes trente ans. Je n’en compris pas le sens : le concept même de posséder un empire n’avait aucun attrait à mes yeux d’enfant, pourquoi m’emporter ici, pourquoi si tôt? Alors il me raconta une histoire, une légende longuement perpétrée de génération en génération, me vanta les propriétés magiques de ce mur, et quand le silence enfin confirma la fin du récit, c’est d’une excitation sans borne que je me mis en chasse. Touchant, retouchant dix fois la même brique pour confirmer, reconfirmer le même échec. Je devais la trouver, cet unique cube qui me prouverait que la magie n’existait pas que dans les rêves. Au énième essai, je la trouvai... et découvris un tout nouveau monde qu’aucun mot ne pourrait décrire avec justesse. C’est les yeux emplis d’étoiles que je retrouvai mon père pour lui dire que cette légende s’apparentait plutôt à une vérité, qu’en m'imitant il croirait à son tour en quelque chose d’aussi magique. Contre son gré, il me suivit, posa sa main à l’endroit que je lui désignai d’un doigt et... et rien. Rien ne se produisit. Il était peut-être trop grand, trop sérieux, trop fermé, toutes les hypothèses étaient bonnes à l’époque. C'est en poussant un long soupir de découragement et d'impatience que mon père me tourna le dos pour vaquer à d'autres occupations plus pressantes. C’est la dernière fois que je le vis, ces derniers mots n’eurent rien d’un adieu, mais je finis par poser ma paume aveuglément contre cette brique, me laissant emporter dans ce nouveau monde sans ne jamais plus me retourner. Je grandis dans cet hôtel jusqu’à un certain âge, puis le temps figea mes traits sans prévenir, me condamnant à ne plus pouvoir m’étonner d’aucun reflet dans le miroir. Je suis maintenant le directeur de l’hôtel Tales et je suis fier d’accueillir chaque jour de nouveaux clients, ou peut-être devrais-je plutôt dire, de nouveaux prisonniers? Ce n’est que très tard que je compris enfin pourquoi mon père n’avait pu voir ce que je vois tous les jours.

C’est un piège et la ruse est subtile. Ce n'est pas le mur qui est magique, c'est vous, et il n'y a qu'un moyen de vous en assurer, et c'est de toucher cette brique. Oubliez votre passé d’humain, dites lui adieu, car il n’y a aucune sortie de secours, personne pour entendre vos plaintes. Vous êtes amnésique, ou à demi, complètement conscient, heureux ou non ; tous les clients sont différents, mais ils ont tous au moins un point en commun. Ils viennent tous de contes comme ceux qu’ont écrit Perrault, Grimm, ou Andersen, ou bien d’autres ; pour vous ce ne sont peut-être que des livres pour enfants, mais pour eux, c’est une vie antérieure. Ils sortent d’une histoire écrite par la plume d’un écrivain inspiré par le monde, et le mur leur révèle enfin leur vraie nature... enfin, pour ceux qui en ont la chance. Pour certains, tout est confus et noir, pour d’autres, c’est un sentiment constant d’avoir oublié une bribe du récit. Qu’ils le veuillent ou non, leur place est ici. Je vous attends de pied ferme à la réception, votre chambre est réservée depuis bien longtemps, le maitre des clés vous remettra votre passe et le maitre d’hôtel vous y emmènera.

Bon séjour à l’hôtel Tales, qui que vous soyez, vous êtes ici chez vous.